Le Grand Large
Il s’agit d’un plan d’eau se situant au nord-est de l’agglomération lyonnaise, sur le territoire des communes de Meyzieu et Décines-Charpieu. D’une superficie de 160 hectares environ, il a été creusé entre 1892 et 1899, en même temps que le canal de Jonage, dont il jouait à l’origine le rôle de réservoir compensateur. Le canal de Jonage, long d’environ 19 kilomètres, alimentait l’usine hydroélectrique de Cusset, de loin la plus puissante de France, à sa mise en service, au début du siècle. But de promenades dominicales pour les familles accueillies par les quelques guinguettes établies sur sa rive sud, aux lieux-dits « le carreau » et « la berthaudière », haut-lieu de la pêche à la ligne, puis à partir des années 60 des clubs de voile, ce vaste plan d’eau a aussi été sporadiquement utilisé entre les deux guerres comme base d’ammerrissage par l’hydraviation.
La S.L.H.A.D.A. possède plusieurs documents photographiques attestant de cette utilisation : parmi ceux-ci, un hydravion de à coque FBA, et un hydravion à flotteurs Levasseur PL15 mouillés à cet endroit. La situation du Grand Large à mi chemin entre la région parisienne et les bases d’hydravions de l’aéronautique navale sur la côte méditérranéenne le préposait à une telle utilisation. Ce n’est donc pas une première, ni un hasard, si, au cours du second conflit mondial, des hydravions français, à deux reprises, mouillèrent sur ce plan d’eau et y firent escale pour des raisons qui, pour certains d’entre eux, restent à élucider.
Arrivée des hydravions
C’est au cours du premier semestre 1942, sans pouvoir donner une date plus précise, ni indiquer l’ordre d’arrivée de ces deux groupes d’appareils, que deux types d’hydravions amerrissaient au Grand Large. Trois Lioré et olivier H246-1 mouillaient sur le plan d’eau face au café-restaurant « le chalet », au lieu dit « le Carreau ».
Transfert de 4 Hydravions sur le plan d’eau du Grand Large
C’est donc vraisemblablement à la fin du printemps ou au début de l’été 1942 que la compagnie Air-France transféra 4 Lioré et un Olivier H242 sur le Grand Large. Deux faits militent en faveur de cette date antérieure du 11 novembre 1942, date de l’invasion de la zone non-occupée par la Wehrmacht :
en haute mer, étaient aux couleurs du gouvernement de Vichy, une bande tricolore, dite « d’armistice », ceinturant le fuselage, et apparaissant également sur les ailes.
Ils furent convoyés de l’Etang de Berre au Grand Large par du personnel d’Air-France. DE plus, trois mécaniciens de la compagnie assuraient sur place la maintenance des appareils. Ils s’agissait de messieurs TROUMP, BERTOLOZI et DAUBIGNY, ce dernier étant chef d’escale à Air-France, à Bron. Les riverains du Grand Large voyaient fréquemment ces mécaniciens en combinaisons blanches se rendre à bord des hydravions, au moyen d’une barque à moteur, pour faire tourner les groupes propulseurs des appareils.
Ces différents faits conduisent à penser que cette opération fut réalisée à l’initiative du gouvernement de Vichy. Cependant, a-t-elle été inspirée par une demande sous-jacente de la part de l’Allemagne ?
La présence de ces hydravions sur le Grand Large retint également l’attention des mouvements de la Résistance : une ou deux tentatives de sabotages des hydravions auraient échoué. Au cours de l’une d’elle, une équipe s’égara, en barque, du fait d’un épais brouillard stagnant sur le plan d’eau, se trouvant dans l’impossibilité de localiser les appareils.
Un article publié sous la plume de J.M. VAUCHY dans la série « Aviateurs et Résistants » paru dans la revue Icare n°153 évoque l’intention émise en janvier 1943 par le capitaine Henri CORMOULS d’enlever un de ces appareils : dans quel but ? Pour quelle destination ? L’auteur ne le précise pas… Ce projet n’a d’ailleurs pas eu de suite…
Le 11 novembre 1942, la Wehrmacht envahit la zone non-occupée en riposte au débarquement allié en Afrique du Nord. Des sentinelles allemandes vinrent peu après assurer la garde des hydravions et éloigner les curieux qui avaient pris l’habitude de faire des ces hôtes inhabituels du Grand Large, un but de promenade. Cependant l’attitude des soldats allemands vis-à-vis du personnel de maintenance et des riverains ne semblait pas être trop sévère.
Les troupes allemandes construisirent un appontement en bois, en bordure du plan d’eau, au lieu-dit » la petite Russie », afin de permettre l’avitaillement en carburant d’hydravions de passage, au moyen de camions-citernes qui s’engageaient en marche arrière sur cet appontement.
La « flak », artillerie antiaérienne dont les allemands saturaient les abords des leurs installations sensibles, ne fut jamais installée sur le pourtour du Grand Large. Ces hydravions ne semblaient donc pas constituer un objectif à défendre en priorité.
Mitraillage et destruction des hydravions le dimanche 30 avril 1944
En ce début d’année 1944, l’offensive aérienne alliée, prélude au débarquement, s’intensifiait sur l’ensemble du territoire français, et la région lyonnaise ne fut pas épargnée.
Le 10 mars 1944, la R.A.F. bombarda l’usine de roulements à bille Nadella à la Ricamarie, la détruisant complétement.
Les 23, 26 et 29 mars 1944, ce fut l’usine Sigma, à Vénissieux qui était la cible de la R.A.F.
Les deux premiers bombardements causèrent surtout des dégâts importants aux cités ouvrières environnantes. La troisième attaque entraîna par contre la destruction totale de l’usine.
Le 30 avril 1944, prenant le relais de la R.A.F., la 8ème Air Force, dans le cadre de l’opération 329, lança 232 bombardiers B17 appartenant au 1st et 3rd Bombardment Divisions, à l’attaque des aérodromes de Lyon-Bron et de Clermont-Ferrand-Aulnat, et 52 B24 Liberator contre un objectif situé dans le Pas de Calais.
Certes, ces bombardements sortent du cadre de cet article, mentionnons toutefois le résultat de celui de l’aérodrome de Lyon-Bron :
114 B17 avaient lancé 555 bombes de 1000 livres « General Purpose » d’une hauteur de 6000 à 7000 mètres entre 10h41 et 10h55.
Six concentrations de bombes étaient tombées sur le côté ouest de l’aérodrome, du côté du Fort de Bron.
Tout au long du trajet aller et retour entre leurs bases d’Angleterre et leurs objectifs, 13 groupes de chasses de l’USAAF assuraient la protection des bombardiers. Trois autres groupes étaient chargés des missions de chasse libre (free lance support sweep) consitant en l’attaque de tout objectif ennemi terrestre ou aérien.
Scindée en de multiples patrouilles, cette unité apparut dans le ciel de la région en début de matinée. Deux témoins qui mettaient à profit ce dimanche pour cultiver leur jardin à proximité du hameau du Mas-Rillier, au-dessus de Miribel, perçurent des bruits de moteurs, et vinrent surgir à basse altitude trois appareils monomoteurs. Au cours de leurs évolutions, l’un deux éjecta son réservoir supplémentaire, opération préliminaire à un combat aérien. Apparut alors au nord-est du Mas-Rillier, un bimoteur allemand dont la faible altitude lassait présumer qu’il était en approche du terrain de Lyon-Bron. Repéré aussitôt par les chasseurs alliés, quelques rafales de mitrailleuses vinrent à bout de l’appareil qui s’écrasa sur une maison à proximité du cimetière de St Martin à Miribel.
Le rapport d’opération du Q.G. de la 8ème Air Force précise que 3 P51 du 4th Figther Group confirme ce précédent paragraphe et ce qui suit.
Selon ces mêmes témoins, après avoir survolé le lieu du crash, le trio américain s’attaqua à un train de marchandises circulant sur la voie Lyon-Ambérieu. Le mitraillage du convoi roulant sur cette voie rectiligne, qu’ils prenaient en enfilade, les entraîna jusqu’au village de la Boisse, à l’entrée duquel était situé un poste électrique protégé par des ballons captifs et plus sérieusement, à chaque angle, par des postes de mitrailleuses semi-enterrés.
Toujours selon ces témoins, ces mêmes P51 repérèrent alors visuellement les 4 hydravions quadrimoteurs mouillés sur le plan d’eau. En connaissait-il l’existence par des photos aériennes ?
Ces appareils, dont les ailes et la dérive jaunes et le fuselage argenté ceinturé d’une bande tricolore se détachaient sur l’eau verte du Grand Large, ne pouvaient pas leur échapper. En deux passes de tir effectuées à basse altitude, la première du sud-ouest au nord-ouest, après avoir survolé Décines, et la seconde par l’est, 3 hydravions étaient coulés, le 4ème endommagé, restant en partie émergé.
Le Grand Large après le passage des chasseurs américains
A la surface de l’eau, à l’emplacement des 3 hydravions, ne demeuraient que quelques superstructures déformées, le 4ème appareil F-ANQH dont la coque reposait sur le fond, ne montrait plus que sa dérive et ses fuseaux-moteurs émergés.
Dans les semaines qui suivirent, les autorités allemandes firent procéder à la récupération des épaves des appareils par des entreprises françaises. Transportées sur le terrain d’aviation de Bron, elles étaient encore visibles après la libération. Dans un article publié dans le magazine « Lyon-Figaro », une photographie montrait le chargement des épaves sur un camion civil électrique SOVEL, en usage à cette époque.
Epilogue
Le mitraillage des 4 hydravions mouillés au Grand Large apparaît comme une composante marginale, par rapport à l’importance des objectifs et des moyens engagés dans l’opération 329 du 30 avril 1944. Cependant, le temps n’a pas émoussé l’intérêt porté à cette action. Au fil des années, elle suscite bien des interrogations qui, faute de réponses, donne naissance à une véritable légende…
Plus concrètement, on peut penser que des éléments des coques, empannages et voilures sont restés enfouis dans l’épaisse couche de vase qui a envahi le plan d’eau. L’intérêt constant porté à cet épisode local de la guerre aérienne se concrétisa par la déclaration en Préfecture du Rhône le 18 juin 1986 de l’association Hydro-Jonage, présidée par Mr Raymond BARREAU. Avec la caution du musée de l’Air et de l’Espace du Bourget, elle avait pour mission de récupérer les vestiges des hydravions coulés en avril 1944.
Des plongées exploratoires effectuées par les sapeurs-pompiers de la Communauté Urbaine de Lyon laissèrent présager de grandes difficultés de récupération, tant l’envasement était devenu important.
L’association fut dissoute en 1992 sans avoir pu aboutir dans ses recherches.
Les seuls témoignages tangibles du passage des hydravions restent les quelques pièces récupérées en 1944 par les riverains. Il s’agirait de quelques flotteurs qui auraient été transformés en canoës…